Archives de catégorie : Jurisprudence

Changement d’usage d’un lot et tantièmes de charges

⚖️ Cass. 3° civ. pourvoi n° 13-21 745, RTDI n° 4 2014

Faits et procédure :

Mme X…, propriétaire d’un lot à usage d’habitation situé au quatrième étage d’un immeuble en copropriété a donné ce bien en location à un cabinet médical

Le 17 janvier 2011 se tient une Assemblée Générale (AG) de la copropriété au cours de laquelle est votée une modification de la répartition des charges afférentes à ce lot, notamment d’ascenseur,  à la suite du changement d’usage de celui-ci.

Madame X. intente alors une action en justice contre le syndicat des copropriétaires (Ilot V47) pour contester cette décision. Pour elle, en effet le règlement de copropriété (RC) prévoit que les appartements ne pourront être occupés que bourgeoisement ou affectés à l’exercice d’une activité libérale. Dès lors en louant ce bien à un cabinet médical elle n’a en rien changé la destination de  son bien puisque celui-ci avait été potentiellement envisagé dans le RC.

Le 15 mai 2013, la Cour d’appel de Rouen fait justice à madame X. en considérant qu’il n’y a pas eu changement d’usage au sens de l’article 25e) de la loi du 10 juillet 1965 car la copropriétaire n’a fait qu’user de son lot conformément aux stipulations du règlement de copropriété.

Ne sont adoptées qu’à la majorité des voix de tous les copropriétaires les décisions concernant :

…………

e) La modification de la répartition des charges visées à l’alinéa 1er de l’article 10 ci-dessus rendue nécessaire par un changement de l’usage d’une ou plusieurs parties privatives.

Le problème de droit :

Il ne s’agit pas ici de savoir si la modification de la réparation des charges s’impose ou non en cas de changement de destination d’une lot. Cette modification est de droit puisque imposée par la loi  (art. 10 loi de 1965) et dépend de l’utilité objective des services dont bénéficie le lot

La question est de savoir si la mention d’une possibilité de changement d’usage clairement exprimée dans le RC, lorsqu’elle se réalise, doit être ou non considérée comme un changement d’usage (ou de destination )

La réponse du Juge :

La Haute Cour casse et annule dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 15 mai 2013 entre les parties, par la cour d’appel de Rouen au motif qu’en considérant que, parce que la possibilité d’affecter le lot considéré à l’exercice d’une profession libérale avait été envisagée par le RC, il n’y avait  pas eu en l’espèce changement d’usage au sens de l’art. 25 e) de la loi dru 10 juillet 1965 la Cour a violé les dispositions de l’article en question .

CONCLUSION :

 Le fait que le règlement de copropriété prévoit une destination mixte et donc plusieurs usages potentiels pour le lot n’exclut pas que le changement de l’usage initial puisse entraîner une augmentation des charges.

LES « DARK-STORES » NE CORRESPONDENT PAS À UNE ACTIVITÉ DE COMMERCE

Ces lignes sont partiellement extraites de la « lettre du service public » n° 1107 du 30 mars 2023

⚖️  Conseil d’État, 23 mars 2023, 468360, Publié au recueil Lebon

Les locaux où sont stockés des produits destinés à la livraison, aussi appelés « dark stores », correspondent à une activité relevant de la destination « Entrepôt » et non « commerce et activités de service ». C’est ce que le Conseil d’État a posé dans une décision rendue le 23 mars 2023.

Les faits :

Deux sociétés de livraison rapide utilisaient des locaux anciennement affectés à la vente directe pour réceptionner et stoker ponctuellement des marchandises avant leur livraison.

La mairie de Paris a mis en demeure ces 2 sociétés de livraison rapide de restituer dans leur état d’origine certains de leurs locaux au motif que ceux-ci avaient changé de destination sans déclaration préalable. Les 2 sociétés ont saisi le juge des référés du tribunal de Paris afin de contester ces décisions.

Le problème de droit :

le changement de destination d’un bien est-il laissé à la discrétion de son utilisateur ou doit-il respecter les règles locales et faire l’objet d’une déclaration et d’une autorisation préalable ?

La décision du juge :

Le juge des référés du tribunal administratif de Paris a suspendu les décisions prises par la mairie de Paris. Il a jugé que les locaux correspondaient à un espace de logistique urbaine au sens du règlement du plan local d’urbanisme de la ville de Paris. La mairie de Paris s’est pourvue en cassation.

Le Conseil d’État a annulé l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris au motif que l’occupation des locaux par les 2 sociétés ne correspondait pas à une logique de logistique urbaine mais à une activité relevant de la destination « Entrepôt ». Il y avait donc un changement de destination illégal des locaux aux adresses concernées puisque le règlement du plan local d’urbanisme de Paris interdit la transformation en entrepôt de locaux existants en rez-de-chaussée sur rue.

Conclusion :

Plus généralement, et dans les villes de taille importante, on voit fleurir ces activités de livraison à domicile de divers produits à partir notamment de locaux de stockage situés en raz de chaussée d’immeubles. Le phénomène a été déjà évoqué en ces pages dans un de nos récents articles.

Rappelons ici que :

1 – La transformation d’un local, garage ou espace vacant en dark-store ou dark-kitchen est illégale car elle change la destination de l’immeuble.  Pour ce faire l’impétrant doit obtenir l’aval de l’Assemblée Générale  des copropriétaires (vote à l’unanimité) ainsi que l’autorisation de la mairie 

2 – Que la copropriété dispose de plusieurs recours pour empêcher ou faire cesser une telle activité

Plusieurs cas :

* Le règlement de copropriété (RC) comporte une clause “d’habitation bourgeoise exclusive “. Une telle clause exclut toute possibilité d’activité commerciale et réserve les locaux à une occupation locative .

* Le RC comporte une “clause d’habitation bourgeoise ordinaire“ (ce qui est le cas le plus fréquent). Une telle clause autorise l’installation de professions libérales mais interdit les commerces de détail ou les entrepôts

* Le RC contient une clause autorisant l’activité commerciale. Celle-ci doit décrire de manière très précise l’immeuble, sa situation géographique et les activités commerciales autorisées. C’est sur la base de ces informations qu’il faudra s’appuyer pour exclure ou empêcher de s’installer une activité de dark-store ou de dark-kitchen

* Le RC peut autoriser une activité commerciale sans précision. Toutefois une activité commerciale n’étant pas un entrepôt, tout dépendra de la qualification de ces locaux : sont-ils des commerces ou simplement des entrepôts ? Si la qualification d’entrepôt devait être retenue (ce qui semble être le cas suite aux débats et aux échanges entretenus depuis le mois de juillet entre les entreprises concernées et les pouvoirs publics) l’installation d’un dark-store ou d’une dark-kitchen changerait la destination de l’immeuble. et serait dès lors illégale. Seule une modification du RC pourrait permettre l’installation et le développement de telles activités

Qui assigner ? …Syndicat ou Syndic ?

⚖️ Cas.,3° Civ, 17 novembre 2021, n°20-21.482

Le copropriétaire victime de dégâts dont l’origine se trouve dans des parties privatives doit assigner le syndic gestionnaire en tant que représentant du syndicat des copropriétaires.

Les faits:

Monsieur N. est copropriétaire dans la copropriété (X) gérée par le syndic “Quadral immobilier“.

Monsieur N. se plaint d’infiltrations provenant d’une terrasse relevant des “ parties communes“ d’après le règlement de copropriété de la résidence. Le 11 septembre 2018,Monsieur N. assigne la société Quadral immobilier, « ès qualités de syndic de la copropriété » en condamnation à effectuer les travaux de réfection de la terrasse fuyarde.

Dans un arrêt du 9 juillet 2020, la Cour d’Appel de Metz, déclare l’irrecevabilité de l’action au motif que si l’assignation délivrée le 11 septembre 2018 a été délivrée à la société Quadral immobilier, ès qualités de syndic de la résidence (X), aucun acte n’a été délivré au syndicat des copropriétaires lui-même. La Cour en conclut que les actions en justice doivent être diligentées contre le syndicat des copropriétaires et non directement contre son syndic.

Monsieur N. contestant la décision redue par la Cour d’Appel, introduit un pourvoi devant la Haute Cour au motif “que le syndic représente le syndicat des copropriétaires ; qu’en l’espèce, pour déclarer irrecevable l’action de M. [N], la cour d’appel a retenu que si l’assignation délivrée le 11 septembre 2018 a été délivrée à la société Quadral immobilier, ès qualités de syndic de la copropriété (X), aucun acte n’a été délivré au syndicat des copropriétaires lui-même ; qu’en statuant ainsi, alors que le syndic avait été assigné non pas à titre personnel mais ès qualité de représentant du syndicat de copropriété, la cour d’appel a violé les articles 15 et 18 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965“.

Or, que disent respectivement ces textes au sujet des structures impliquées  :

  • art. 15 : Le syndicat a qualité pour agir en justice, tant en demandant qu’en défendant, même contre certains des copropriétaires ; il peut notamment agir, conjointement ou non avec un ou plusieurs de ces derniers, en vue de la sauvegarde des droits afférents à l’immeuble.“
  • art. 18 : “Indépendamment des pouvoirs qui lui sont conférés par d’autres dispositions de la présente loi ou par une délibération spéciale de l’assemblée générale, le syndic est chargé, dans les conditions qui seront éventuellement définies par le décret prévu à l’article 47 ci-dessous :….de représenter le syndicat dans tous les actes civils et en justice dans les cas mentionnés aux articles 15 et 16 de la présente loi…“

La question de droit :

L’action en justice introduite par un copropriétaire pour condamnation à exécution de travaux de réparation sur des parties communes d’un immeuble géré en copropriété doit-elle être introduite contre le syndicat des copropriétaires ou contre le syndic gestionnaire ?

La réponse du juge :

La Cour rappelle d’abord qu’au terme de l’art. 15 de la loi du 10 juillet 1965 “le syndicat des copropriétaires a qualité pour agir en justice tant en demande qu’en défense“. Il précise ensuite que  “selon le second (art. 18), le syndic est chargé de représenter le syndicat dans tous les actes civils et en justice“.

Elle conclut : “En statuant ainsi alors qu’elle (la cour d’appel) avait relevé que le syndic avait été assigné en qualité de syndic du syndicat des copropriétaires, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés car le syndic avait été assigné non pas à titre personnel mais ès qualité de représentant du syndicat de copropriété“.

La Haute Cour casse et annule la décision rendue en appel par la Cour de Metz le 9 juillet 2020, remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Colmar .

Troubles de voisinage et responsabilité

Chers voisins ...

⚖️ Civ. 3e, 16 mars 2022, FS-B, n° 18-23.954

L’action fondée sur un trouble anormal du voisinage est une action en responsabilité civile extra-contractuelle indépendante de toute faute ; elle permet à la victime de demander réparation au propriétaire de l’immeuble à l’origine du trouble, responsable de plein droit.

Les Faits :

En 2017,  Monsieur et Madame F. acquièrent aux consorts G. un pavillon dans un quartier pavillonnaire. Dès leur acquisition soit le 25 janvier 2017, ils contractent une assurance “multirisques habitation“.

Madame X. usufruitière d’un pavillon voisin du leur, constate chez elle des infiltrations d’eau qu‘elle identifie comme provenant du pavillon de Monsieur et Madame F.  Elle déclare alors à son assureur un “dégât des eaux“ et assigne ses voisins sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage.

L’affaire fera l’objet de plusieurs recours en appel puis en cassation

La Cour d’appel, se fondant sur les arguments avancés par Madame X.

  • déclare les époux F. responsables dans la proportion de 60% des désordres constatés  dans le pavillon  de Madame X.
  • rejette les demandes adressées par les époux F. à leur assureur au motif que la cause à l’origine du dommage est antérieure à la date de souscription de l’assurance. En effet des travaux d’investigation en recherche de fuite ont établi que celles-ci provenaient du réseau de canalisations enterrées et remontaient aux années 1997 et 2005, donc très en amont du 25 janvier 2017 date de la souscription de l’assurance multirisques par les époux F.
  • considère enfin que les conditions générales du contrat d’assurance souscrit par les époux F. ne couvrent pas les dommages provenant d’une canalisation enterrée chez l’assuré et qu’il s’agit là d’une clause de non-garantie, laquelle n’a pas à répondre au formalisme édicté par l’article L. 112-4 du code des assurances

Les époux F. introduisent alors un pourvoi sur les  moyens suivants :

  • le vendeur est responsable du trouble anormal de voisinage causé par l’immeuble vendu avant la cession ; dès lors, les consorts G. qui étaient propriétaires du bien aux dates où les premiers désordres ont été constatés (1997 et 2005) doivent nécessairement assumer une part du dommage causé.
  • la garantie déclenchée par le fait dommageable couvre l’assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres survenus entre la prise d’effet initiale de la garantie et sa date de résiliation ou d’expiration. Or, en l’espèce, la cause génératrice du dommage réside dans un événement continu puisqu’elle est constituée par des fuites d’eau intervenues depuis 1997 sur des canalisations enterrées de la propriété acquise par les assurés, fuites qui se sont poursuivies après la vente survenue en 2017, donc pendant la prise d’effet de l’assurance souscrite par les nouveaux propriétaires. Dès lors l’assureur est tenu à garantie.
  • pour être valables, les clauses d’exclusion de garantie insérées dans une police d’assurance doivent être formelles et limitées. Or, en l’espèce, d’une part, les conditions particulières du contrat d’assurance stipulaient que l’assureur garantissait la réparation pécuniaire des dommages causés par les “dégâts des eaux”, et que les exclusions ne mentionnaient pas expressément les dégâts des eaux provenant de conduites enterrées, de telle manière que ces dernières ne faisaient l’objet que d’une exclusion indirecte

Les problèmes de droit :

  • En matière de responsabilité, la responsabilité se fonde soit sur un contrat soit sur une faute. En matière de “troubles anormaux de voisinage“, quel est le fondement de la responsabilité ?
  • En matière d’assurance quel est l’évènement déclenchant de la garantie ?
  • Quelles sont les conditions de validité des clauses d’exclusion de garantie ?

Les réponses de la Haute Cour :

  • Sur la responsabilité, Le juge de Cassation constate que la Cour d’appel a reconnu elle-même que le trouble était causé par des conduites fuyardes, dont les premiers désordres remontaient à 1997 puis à 2005, donc à une époque où les époux F. n’étaient pas encore propriétaires du pavillon à l’origine du sinistre. Ainsi en imputant aux seuls époux F. propriétaires depuis 2017 seulement, la responsabilité du trouble anormal de voisinage considéré, la cour d’appel, n’a pas tiré les conséquences légales qui découlaient de ses propres constatations ; elle  a violé le principe en vertu duquel nul ne peut causer à autrui un trouble anormal de voisinage. Pour cette raisonna Haute Cour casse la décision de la Cour d’appel.

On retiendra que cette responsabilité de nature “objective“, engage la propriétaire du seul fait qu’un trouble anormal de voisinage émane de son fonds. Peu importe qu’il ait ou non commis une faute, il est responsable de plein droit en sa seule qualité de propriétaire. Ce régime de responsabilité objective se justifie par le risque créé ou le risque-profit  : là où est le profit, est la charge “ubi emolumentum, ibi onus“.

La Cour de Cassation a clairement affirmé qu’il s’agit là d’une action en responsabilité civile extracontractuelle (Civ. 2e, 13 sept. 2018, n° 17-22.474), qui n’est pas cantonnée aux rapports entre propriétaires. La jurisprudence retient une conception extensive de la notion de voisin : il n’est pas nécessaire que le voisin soit propriétaire du fonds. Seul importe le fait qu’il l’occupe. Il peut ainsi parfaitement s’agir d’un locataire (Civ. 3e, 17 avr. 1996, n° 94-15.876 ;  Civ. 2e, 31 mai 2000, n° 98-17.532, D. 2000. 171 ; 14 avr. 2016, n° 15-17.413) ou d’u usufruitier.

  • Sur le déclenchement de la garantie, la Cour de Cassation retient l’argumentaire des époux F. relativement à la garantie organisée par l’assurance : dans notre affaire, “la cause génératrice du dommage résidait dans un événement continu puisqu’elle était constituée par des fuites d’eau intervenues depuis 1997 sur des canalisations enterrées de la propriété acquise par les assurés, fuites qui s’étaient poursuivies après la vente survenue en 2017 », donc pendant la prise d’effet de l’assurance souscrite par les nouveaux propriétaires. En rejetant le principe de cette garantie, la Cour d’Appel a violé l’article L.124-5 du code des assurances. La Cour de cassation casse donc la décision des juges du fond pour violation de la loi. Elle souligne en outre que « selon ce texte, la garantie est, selon le choix des parties, déclenchée soit par le fait dommageable, soit par la réclamation », et que, « dans les assurances “dégâts des eaux”, l’assureur est tenu à garantie, dès lors que le sinistre est survenu pendant la période de validité du contrat d’assurance »
  • Sur la validité des clauses d’exclusion de garantie, la Haute Cour rappelle d’abord que “les clauses des polices édictant des exclusions ne sont valables que si elles sont mentionnées en caractères très apparents“ (art. L. 112-4). Elle souligne de plus, qu’au terme de l’art. L. 113-1, elles doivent être “formelles et limitées“. Elle en conclut que les juges du fond ont privé leur décision de base légale en ne recherchant pas “comme il le leur était demandé si les exclusions de garantie mentionnaient expressément les dégâts des eaux provenant de conduites enterrées, à défaut de quoi ceux-ci faisaient l’objet d’une exclusion indirecte“. Pour ces raisons la Cour de cassation casse la décision de la Cour d’appel en rappelant que le code des assurances encadre très strictement la validité des clauses d’exclusion de garantie dans un souci de protection du souscripteur.

Les décisions d’AG peuvent-elles être annulées alors qu’elles ont été exécutées ?

⚖️ CCas., Ch.civ. 3°, 24 novembre 2021, n° 20-22.487

Faits et procédure :

M. et Mme [U], M. [W] et la société civile immobilière (SCI) Dufer, ont assigné le syndicat des copropriétaires de la résidence (X) dans  laquelle ils sont copropriétaires en annulation

  • des assemblées générales (AG) des 2 novembre 2015 et 18 mai 2016,
  • de certaines résolutions  (6 et 7) adoptées lors de  ces AG
  • de l’AG  du 1er juin 2015.

Plusieurs décisions prises au cours de ces AG doivent être annulées car, au dire des requérants elles sont entachées de nullité en raison d’une violation manifeste des procédures qui ont présidé à leur adoption, et notamment

  • la désignation du syndic (société Cytia) au détriment de la société Laforêt. En l’espèce, deux résolutions successives étaient consacrées à la désignation d’un syndic (société Cytia et Laforêt). Après un second vote favorable obtenu au profit du syndic société Cytia, il avait été décidé que la résolution suivante (concernant la désignation du syndic Laforêt) était sans objet du fait de l’adoption de la résolution précédente. Or en procédant ainsi, la procédure décrite par les art. 25 et 25-1 de la loi du 10 juillet 1965, n’a pas été respectée : « l’assemblée générale doit, pour désigner le syndic, se prononcer sur chacune des propositions, d’abord à la majorité absolue de l’article 25 de la loi du 10 juillet 1965 puis, à défaut, à la majorité de l’article 24 de cette même loi ; qu’une irrégularité quant au vote portant désignation du syndic emporte l’annulation rétroactive de la résolution contestée ».
  • l’approbation et le vote de travaux alors que les devis proposés par les entreprises concurrentes  n’ont pas été joints à la convocation en violation des dispositions de l’article 11 du décret du 17 mars 1967 et que les règles posées notamment par l’art. 19 du décret n° 67-223 du 17 mars 1967 ont en outre été  transgressées : « Pour l’application des articles 25-1 et 26-1 de la loi du 10 juillet 1965, lorsque l’assemblée est appelée à approuver un contrat, un devis ou un marché mettant en concurrence plusieurs candidats, elle ne peut procéder au second vote prévu à ces articles qu’après avoir voté sur chacune des candidatures à la majorité applicable au premier vote. »

Le 20 septembre 2018, le Tribunal de Grande Instance de Blois saisi en première instance a donné droit au Syndicat des copropriétaires et rejeté la demande des requérants au motif qu’il est impossible d’annuler ces résolutions, bien que litigieuses, car elles ont déjà pris effet.

Deux ans plus tard, le 21 septembre 2020 la Cour d’Appel d’Orléans a confirmé le jugement rendu en première instance en reprenant  les mêmes arguments.

Ainsi pour ces deux niveaux de juridiction la mise en oeuvre d’une décision prise en AG  prime sur son irrégularité

S’estimant lésés, les copropriétaires forment un pourvoi en cassation.

Question de droit :

Une résolution d’AG prise  de manière irrégulière et au mépris des dispositions légales, peut-elle être annulée alors qu’elle a été exécutée ?

Réponse du juge  :

A cette question, et sur chacune des « irrégularités » dénoncées par les requérants la Cour de Cassation, par un arrêt du 24 novembre 2021, a répondu par l’affirmative.

Elle casse et annule l’arrêt rendu par la Cour d’Appel d’Orléans au motif « qu’en refusant de prononcer la nullité des résolutions … relatives à la désignation de la société Citya en qualité de syndic au motif que le mandat donné au syndic avait été exécuté, après avoir pourtant retenu que la résolution (6) avait « été adoptée en violation des dispositions légales susvisées », la cour d’appel a refusé de prononcer la sanction attachée aux irrégularités constatées, privant ainsi de toute efficacité les règles énoncées aux articles 25 et 25-1 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 et à l’article 19 du décret n° 67-223 du 17 mars 1967, qu’elle a violés. »

La Haute Cour casse et annule les décisions relatives au vote de travaux  en reconnaissant « que la résolution prise sans qu’aient été jointes les conditions essentielles des contrats et devis proposés pour l’exécution des travaux projetés encourt la nullité ; qu’en refusant de prononcer la nullité de la résolution 12 de l’assemblée générale du 1er juin 2015 au motif que cette résolution avait été exécutée, après avoir pourtant retenu que cette résolution avait « été adoptée dans des conditions irrégulières », la cour d’appel a refusé de prononcer la sanction attachée aux irrégularités constatées, privant ainsi de toute efficacité les règles énoncées à l’article 11 du décret du 17 mars 1967 qu’elle a violé. »

Au visa de ces articles, la haute juridiction reconnaît que l’exécution d’une résolution adoptée en AG ne fait pas obstacle à son annulation. Pour la Cour de Cassation le respect de la régularité de la prise de décision doit primer sur son exécution.

Conclusion :

L’application stricto sensu de ces dispositions n’est pas sans conséquence notamment à l’égard des contrats qui auraient été souscrits de bonne foi par le cocontractant ou encore des travaux engagés. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le législateur a introduit dans l’article 42 de la loi du 10 juillet 1965, l’obligation de la purge du délai de contestation pour l’exécution des travaux votés à la majorité absolue de l’article 25 et ceux votés à la double majorité de  l’art.26 :

« Les actions en contestation des décisions des assemblées générales doivent, à peine de déchéance, être introduites par les copropriétaires opposants ou défaillants dans un délai de deux mois à compter de la notification du procès-verbal d’assemblée, sans ses annexes. Cette notification est réalisée par le syndic dans le délai d’un mois à compter de la tenue de l’assemblée générale.


Sauf urgence, l’exécution par le syndic des travaux décidés par l’assemblée générale en application des articles 25 et 26 de la présente loi est suspendue jusqu’à l’expiration du délai de deux mois mentionné au deuxième alinéa du présent article. »