Archives de catégorie : Jurisprudence

Changement d’usage d’un lot : que doit faire le locataire ?

AirBnB-02

⚖️ Cass. Civ. 3, 15 fév. 2023, n°22-10187

Faits et procédures :
La société JLP Fidji, propriétaire d’un local à usage d’habitation situé à Paris, le loue à une autre société « Habitat parisien » qui organise sur cet appartement des locations saisonnières régulières et de courte durée pour une clientèle de passage.

La ville de Paris a assigné les deux sociétés devant le président du Tribunal de grande instance (TGI) , sur le fondement des articles L. 631-7 et L 651-2 du code de la construction et de l’habitation. Elle souhaite les voir condamner au paiement d’une amende civile  pour avoir changé l’usage du local sus évoqué en le louant régulièrement à une clientèle de passage n’y élisant pas domicile.

Le TGI statuant en la forme des référés condamne la société « Habitat parisien » au paiement d’une amende civile de 50 000 euros pour avoir enfreint les dispositions des deux articles pré cités (absence de demande d’autorisation du changement d’usage aux services de l’urbanisme et paiement d’une amende sanctionnant la violation de cette obligation).

La Cour d’appel saisie par ladite société confirme la décision du Tribunal.

La société « Habitat parisien « se pourvoit alors en cassation au motif

  • que le contrat de bail souscrit entre la société JLP Fidji et la société « habitat parisien » prévoyait que le locataire puisse sous-louer voire prêter ce logement de manière temporaire à une clientèle de passage
  • qu’il appartient au bailleur et non au locataire de déclarer aux services de l’urbanisme le changement d’usage
  • que dès lors la société « Habitat Parisien » doit être exonérée du paiement de l’amende qui doit incomber exclusivement à la société bailleresse.

Le problème de droit :

A qui, du bailleur ou du preneur appartient l’obligation de solliciter auprès des services municipaux de l’urbanisme l’autorisation de changer l’usage d’un local ?

Qui du bailleur ou de preneur doit acquitter l’amende civile sanctionnant la violation de cette obligation ?

La réponse du juge :

La Haute Cour rappelle

  • qu’au terme de l’art. 631-7 du code de la construction et de l’habitation, dans certaines communes le changement d’usage de locaux destinés à l’habitation est soumis à autorisation préalable. C’est le cas pour la ville de Paris.
  • qu’aux termes de l’al. 6 du même article le fait de louer un local meublé destiné а l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile constitue un changement d’usage au sens de cet article
  • que toute personne qui ne respecte pas les dispositions de l’art. 631-7 encourt une amende civile
  • que le locataire qui sous-loue un local meublé destiné à l’habitation en méconnaissance des dispositions de l’article L. 631-7 précité est passible d’une condamnation au paiement d’une telle amende
  • qu’il appartenait à la société «Habitat parisien» de s’assurer de l’obtention de l’autorisation du changement d’usage par la société JLP Fidji
  • que la souscription d’un avenant au contrat de bail garantissant à la société locataire la licéité de la location meublée de courte durée, ne pouvait exonérer la société Habitat Parisien de sa responsabilité

Dès lors, la Cour de Cassation confirme l’analyse de la Cour d’appel selon laquelle il appartenait au locataire de s’assurer de l’autorisation du changement d’usage. L’attestation sur l’honneur du propriétaire-bailleur de la « licéité de la location meublée de courtes durées » était donc inefficace en l’espèce pour exonérer le locataire de sa responsabilité, d’autant plus qu’il était un professionnel de la location de courte durée…

Piscine privée et responsabilité

Vignette Réglementation Piscines

⚖️ CCas. ,Ch.civ. 2°,  9 mars 2023, n° 21-18.713

Faits et procédure :

Le 15 avril 2021, l’enfant (N. Z. ) âgé de 2 ans et demi, est découvert  inanimé dans la piscine d’une propriété appartenant à M.et Mme ( X. ), voisine de celle de ses parents.

L’enfant,  hospitalisé en service de pédiatrie y  décèdera 10 jours plus tard .

Les époux (Z.), parents de l’enfant décédé, saisissent  le tribunal correctionnel par citation directe pour homicide involontaire des époux (X.).

Le tribunal correctionnel de Douai relaxe les époux(X.) du chef d’homicide involontaire et déclare recevable la constitution de partie civile des époux (Z.)

Les époux ( Z.)  saisissent alors le Tribunal de Grande Instance pour indemnisation de leurs préjudices. Déboutés de peurs prétentions successivement par le TGI puis par la Cour d’appel, ils introduisent un pourvoi en cassation.  Ils considèrent en effet que les époux (X.) ont commis une faute d’imprudence engageant leur responsabilité en ne recouvrant pas leur piscine, située sur un terrain non clos,  d’une bâche règlementaire, et en la laissant fut-ce pour un temps limité sans aucune surveillance

La question de droit :

Les propriétaires d’une piscine située dans leur propriété non ou insuffisamment clôturée, engagent-ils leur responsabilité pour faute (art. 1382 devenu 1240 CC) en ne la recouvrant pas systématiquement d’une bâche lorsqu’ils ne l’utilisent pas et en n’’assurant pas une surveillance régulière et permanente autour de cette piscine ?

La réponse du juge :

La Haute Cour reprend et examine les arguments de la Cour d’appel qui a retenu :

1 – « que l’enfant [N] [Z] qui se trouvait en la seule compagnie d’enfants dont la plus âgée avait dix ans, dans le jardin d’une propriété qui n’était pas entièrement clôturée, en est sorti et dans des circonstances indéterminées, a pénétré dans une propriété située trois maisons plus loin et possédant une piscine à l’arrière de la maison, non visible de la rue…

2 – « que l’enquête diligentée par un procureur de la République a établi que les normes de sécurité alors en vigueur et afférentes à cette piscine étaient respectées puisque ses propriétaires, M. et Mme [X. ] avaient fait installer une bâche de sécurité rigide mise en place lors de leur absence du domicile…

3- « que M. et Mme [X. ], présents à leur domicile, avaient nettoyé leur piscine et installé une bâche non rigide sur celle-ci dans le but de s’y baigner ultérieurement…

4 – « que, ce faisant ils ne pouvaient envisager la présence d’un jeune enfant sur leur propriété, de surcroît sans ses parents. Dès lors, il ne pouvait leur être reproché de ne pas avoir exercé une surveillance constante de la piscine et de ses abords ou de ne pas avoir replacé immédiatement la bâche protectrice…. »

La Haute juridiction  reconnait dès lors que la Cour d’appel a, à juste titre, déduit de ces constatations que les époux (X.) n’avaient commis aucune faute quelle qu’elle soit et rejette le pourvoi. Leur responsabilité civile ne peut donc pas être engagée car il n’y a aucun lien de causalité entre leur comportement et le décès de l’enfant qui était laissé sans surveillance par ses parents.

Responsabilité du syndicat des copropriétaires ou responsabilité d’un copropriétaire

⚖️ Civ. 3e, 26 janv. 2022, FS-B, n° 20-23.614

Un copropriétaire peut agir en responsabilité délictuelle contre un autre copropriétaire en raison des dommages qu’il subit même si ces dommages  trouvent leur cause dans une partie commune dont celui-ci a la jouissance privative. 

Les faits :

L’espèce se situe dans un immeuble en copropriété dans lequel certains appartements jouissent d’une terrasse. D’après le règlement de copropriété et le régime traditionnel des terrasses et balcons en copropriété, ces terrasses sont déclarées “parties communes à jouissance privative“.

L’un des copropriétaires est victime d’infiltrations en provenance de la terrasse de l’un de ses voisins. Le copropriétaire lésé assigne son voisin en justice pour obtenir réparation de son préjudice.

La Cour d’appel saisie rejette la demande de la victime au motif que l’action intentée contre le propriétaire de la terrasse fuyarde aurait dû l’être contre le syndicat des copropriétaires. La demande est donc irrecevable car, argumente le juge du fond, “un copropriétaire n’a pas qualité pour répondre de désordres provenant de parties communes même s’il en est le gardien, et  quand bien même il en aurait la jouissance exclusive“.

Le conflit est alors porté devant la Cour de cassation

Le problème de droit :

Le syndicat des copropriétaires a-t-il seul qualité pour répondre du préjudice trouvant son origine dans les parties communes d’un immeuble dont un autre copropriétaire a la jouissance exclusive ? Ou bien l’action en réparation peut-elle être dirigée contre ce copropriétaire ?

La réponse du juge :

Ce cas d’espèce voit la mise en oeuvre des art 14 et 15 de la loi du 10 juillet 1965 :

Art. 14 al.5 : Le syndicat est responsable des dommages causés aux copropriétaires ou aux tiers ayant leur origine dans les parties communes, sans préjudice de toutes actions récursoires.

Art. 15 al. 2 : Tout copropriétaire peut néanmoins exercer seul les actions concernant la propriété ou la jouissance de son lot, à charge d’en informer le syndic.

Le juge de la Haute Cour cassera la décision de la Cour d’Appel. En effet rappelle-t-il “la responsabilité du syndicat des copropriétaires au titre de l’article 14 de la loi du 10 juillet 1965 n’est pas exclusive de la responsabilité délictuelle encourue par un copropriétaire.“

Un copropriétaire peut donc agir directement à l’encontre d’un autre pour des dommages trouvant leur origine dans des parties communes même si celles-ci sont placées sous la garde et la jouissance exclusive d’un autre copropriétaire. Cette action se fonde  sur la théorie des troubles anormaux de voisinage ou de la responsabilité délictuelle.

La prescription biennale posée par l’Art. L128-2 du code de la consommation s’applique-t-elle au syndicat de copropriétaires ?

⚖️ – Cour de cassation 3eme chambre civile 28.09.2022 – Pourvoi n° 21-19.829

Faits et Procédures :

Dans cette affaire, un syndicat des copropriétaires a signé  en 2016 un devis avec la société A L’ABRI en vue de réaliser des travaux.

Le 26 mai 2020, faute de paiement de certaines factures, la société a assigné  en référé le syndicat en paiement d’une provision correspondant aux factures en litige.

le syndicat oppose une fin de non-recevoir à la société sur la base de la prescription biennale posée par l’art. 218-2 du code de la consommation.

Dans un arrêt rendu le  20 mai 2021 la cour d’appel de Paris donne raison au demandeur (la société A l’abri) et condamne le syndicat à payer la somme provisionnelle de 19.990,64 €.

S’estimant lésé par cette décision, le syndicat des copropriétaires s’est pourvu en cassation au motif que l’article L218-2 du code de consommation ne prévoit pas expressément que la prescription biennale bénéficie aux non-professionnels. Selon lui, le syndicat devrait être considéré comme un consommateur puisqu’il n’agit pas dans le cadre d’une activité professionnelle. La cour d’appel fondant sa réponse sur la qualité de personne morale du syndicat pour exclure l’application de l’article susmentionné (et qui ne vise que les personnes physiques), entraîne une rupture d’égalité entre les administrés se trouvant dans une situation analogue.
Le syndicat sollicite alors le renvoie auprès du Conseil Constitutionnel de la question afin de la déclarer inconstitutionnelle, privant par voie de conséquence l’arrêt de la Cour d’appel de fondement juridique.

Question de droit :

Un syndicat des copropriétaires peut-il se prévaloir de la prescription biennale de l’article L.218-2 du code de la consommation qui bénéficie aux consommateurs pour ne pas payer les factures d’un prestataire ?

La réponse du juge :

A cette question, la 3eme chambre civile de la Cour de cassation le 28 septembre 2022 a tranché par la négative en arguant le fait que l’article L218-2 du code de la consommation s’applique seulement au consommateur. Pour être qualifié comme tel, l’article prévoit qu’il faut être un personne physique agissant à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale,  industrielle, artisanale, libérale ou agricole. Le non-professionnel, quant à lui, est une personne morale. Cette différence de statut juridique entre les deux est fondée sur la personnalité morale des non professionnels qui « ne les place pas dans une situation analogue ou comparable à celle des personnes physiques ».
A contrario d’une personne physique, le syndicat des copropriétaires est constitué, en application de la loi du 10 juillet 1965, de trois organes à savoir, le syndic, le conseil syndical et l’assemblée générale. Son fonctionnement est d’ailleurs régi par cette même loi ainsi que par un règlement de copropriété.
La Cour de cassation conclut que le syndicat des copropriétaires n’étant pas une personne physique en raison de son fonctionnement ne peut se prévaloir de la prescription biennale. Ainsi, et au regard de la directive 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2022, aucune différence dans le traitement de personnes placées dans des situations analogues ou comparables n’est à déplorer. La question d’inconstitutionnalité n’a pas lieu d’être renvoyée devant le Conseil Constitutionnel puisque ne viole pas l’article 14 de la Constitution.

Conclusion :

Il est à noter que la Cour de cassation procède à une application stricte du texte de l’article L218-2 du code de la consommation. Le syndicat est donc soumis à la prescription de droit commun de 5 ans édictée par l’article 2244 du Code civil, à compter de l’émission de la facture. Il est à déplorer que l’application de l’article L218-2 du code de la consommation se limite de façon restrictive aux personnes physiques alors qu’il semblerait plus juste de s’attacher à l’objet de la personne morale pour l’englober dans une nouvelle définition du consommateur. C’est ainsi qu’aux termes de l’article 14 de la loi du 10 juillet 1965, le syndicat dont l’objet est « la conservation et l’amélioration de l’immeuble ainsi que l’administration des parties communes » pourrait être considéré comme un consommateur.

Contestation des mandats de représentation en AG de copropriété

⚖️ Cass. 3e civ. 7-12-2022 n° 21-23.915 FS-B

Faits et Procédure :

Dans cette affaire, Monsieur B. , copropriétaire dans la résidence La Bruyère II, a donné mandat à l’un des copropriétaires de cette résidence de le représenter lors de l’Assemblée Générale (AG) du 3 septembre 2013. Monsieur X. également copropriétaire dans cette résidence et présent en séance constate que  la signature apposée sur certains pouvoirs et celle figurant pour la feuille de présence au regard du mandataire ne sont pas identiques. Il en déduit que les pouvoirs sont irréguliers et assigne le syndicat des copropriétaires ainsi que le syndic gestionnaire en annulation de l’AG.
Le Tribunal judiciaire puis la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 6 novembre 2019 déboutent successivement le demandeur de ses prétentions en soutenant que « seuls les copropriétaires représentés par pouvoir sont recevables à contester le pouvoir établi lors de l’assemblée ».

S’estimant lésé, le copropriétaire introduit  un pourvoi en cassation.

Question de droit :

Qui est fondé à contester les mandats de représentation donnés à l’occasion d’une AG de copropriétaires ? Tout copropriétaire en a-t-il le  droit  ou au contraire ce droit est-il exclusivement réservé aux copropriétaires représentés par pouvoir ?

La Réponse du juge :

La Haute Juridiction casse l’arrêt de la cour d’appel par un attendu de principe au visa de l’article 22 alinea 3 de la loi du 10 juillet 1965.

           « Tout copropriétaire peut déléguer son droit de vote à un mandataire, que ce dernier   soit ou non membre du syndicat. 

Elle retient que dès lors que tout copropriétaire peut déléguer son droit de vote, tout copropriétaire est fondé à contester la régularité des mandats donnés en vue d’une assemblée générale.

Elle rappelle que le juge doit appliquer stricto sensu les dispositions légales. L’irrégularité des pouvoirs entraîne la nullité de l’AG sans que le juge n’ait à rechercher si ceux-ci étaient de nature à modifier le sens du vote.

Cette jurisprudence s’inscrit dans la logique que tout copropriétaire a intérêt à faire respecter les dispositions impératives de la loi du 10 juillet 1965.