Archives de catégorie : Jurisprudence

Qui assigner ? …Syndicat ou Syndic ?

⚖️ Cas.,3° Civ, 17 novembre 2021, n°20-21.482

Le copropriétaire victime de dégâts dont l’origine se trouve dans des parties privatives doit assigner le syndic gestionnaire en tant que représentant du syndicat des copropriétaires.

Les faits:

Monsieur N. est copropriétaire dans la copropriété (X) gérée par le syndic “Quadral immobilier“.

Monsieur N. se plaint d’infiltrations provenant d’une terrasse relevant des “ parties communes“ d’après le règlement de copropriété de la résidence. Le 11 septembre 2018,Monsieur N. assigne la société Quadral immobilier, « ès qualités de syndic de la copropriété » en condamnation à effectuer les travaux de réfection de la terrasse fuyarde.

Dans un arrêt du 9 juillet 2020, la Cour d’Appel de Metz, déclare l’irrecevabilité de l’action au motif que si l’assignation délivrée le 11 septembre 2018 a été délivrée à la société Quadral immobilier, ès qualités de syndic de la résidence (X), aucun acte n’a été délivré au syndicat des copropriétaires lui-même. La Cour en conclut que les actions en justice doivent être diligentées contre le syndicat des copropriétaires et non directement contre son syndic.

Monsieur N. contestant la décision redue par la Cour d’Appel, introduit un pourvoi devant la Haute Cour au motif “que le syndic représente le syndicat des copropriétaires ; qu’en l’espèce, pour déclarer irrecevable l’action de M. [N], la cour d’appel a retenu que si l’assignation délivrée le 11 septembre 2018 a été délivrée à la société Quadral immobilier, ès qualités de syndic de la copropriété (X), aucun acte n’a été délivré au syndicat des copropriétaires lui-même ; qu’en statuant ainsi, alors que le syndic avait été assigné non pas à titre personnel mais ès qualité de représentant du syndicat de copropriété, la cour d’appel a violé les articles 15 et 18 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965“.

Or, que disent respectivement ces textes au sujet des structures impliquées  :

  • art. 15 : Le syndicat a qualité pour agir en justice, tant en demandant qu’en défendant, même contre certains des copropriétaires ; il peut notamment agir, conjointement ou non avec un ou plusieurs de ces derniers, en vue de la sauvegarde des droits afférents à l’immeuble.“
  • art. 18 : “Indépendamment des pouvoirs qui lui sont conférés par d’autres dispositions de la présente loi ou par une délibération spéciale de l’assemblée générale, le syndic est chargé, dans les conditions qui seront éventuellement définies par le décret prévu à l’article 47 ci-dessous :….de représenter le syndicat dans tous les actes civils et en justice dans les cas mentionnés aux articles 15 et 16 de la présente loi…“

La question de droit :

L’action en justice introduite par un copropriétaire pour condamnation à exécution de travaux de réparation sur des parties communes d’un immeuble géré en copropriété doit-elle être introduite contre le syndicat des copropriétaires ou contre le syndic gestionnaire ?

La réponse du juge :

La Cour rappelle d’abord qu’au terme de l’art. 15 de la loi du 10 juillet 1965 “le syndicat des copropriétaires a qualité pour agir en justice tant en demande qu’en défense“. Il précise ensuite que  “selon le second (art. 18), le syndic est chargé de représenter le syndicat dans tous les actes civils et en justice“.

Elle conclut : “En statuant ainsi alors qu’elle (la cour d’appel) avait relevé que le syndic avait été assigné en qualité de syndic du syndicat des copropriétaires, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés car le syndic avait été assigné non pas à titre personnel mais ès qualité de représentant du syndicat de copropriété“.

La Haute Cour casse et annule la décision rendue en appel par la Cour de Metz le 9 juillet 2020, remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Colmar .

Troubles de voisinage et responsabilité

Chers voisins ...

⚖️ Civ. 3e, 16 mars 2022, FS-B, n° 18-23.954

L’action fondée sur un trouble anormal du voisinage est une action en responsabilité civile extra-contractuelle indépendante de toute faute ; elle permet à la victime de demander réparation au propriétaire de l’immeuble à l’origine du trouble, responsable de plein droit.

Les Faits :

En 2017,  Monsieur et Madame F. acquièrent aux consorts G. un pavillon dans un quartier pavillonnaire. Dès leur acquisition soit le 25 janvier 2017, ils contractent une assurance “multirisques habitation“.

Madame X. usufruitière d’un pavillon voisin du leur, constate chez elle des infiltrations d’eau qu‘elle identifie comme provenant du pavillon de Monsieur et Madame F.  Elle déclare alors à son assureur un “dégât des eaux“ et assigne ses voisins sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage.

L’affaire fera l’objet de plusieurs recours en appel puis en cassation

La Cour d’appel, se fondant sur les arguments avancés par Madame X.

  • déclare les époux F. responsables dans la proportion de 60% des désordres constatés  dans le pavillon  de Madame X.
  • rejette les demandes adressées par les époux F. à leur assureur au motif que la cause à l’origine du dommage est antérieure à la date de souscription de l’assurance. En effet des travaux d’investigation en recherche de fuite ont établi que celles-ci provenaient du réseau de canalisations enterrées et remontaient aux années 1997 et 2005, donc très en amont du 25 janvier 2017 date de la souscription de l’assurance multirisques par les époux F.
  • considère enfin que les conditions générales du contrat d’assurance souscrit par les époux F. ne couvrent pas les dommages provenant d’une canalisation enterrée chez l’assuré et qu’il s’agit là d’une clause de non-garantie, laquelle n’a pas à répondre au formalisme édicté par l’article L. 112-4 du code des assurances

Les époux F. introduisent alors un pourvoi sur les  moyens suivants :

  • le vendeur est responsable du trouble anormal de voisinage causé par l’immeuble vendu avant la cession ; dès lors, les consorts G. qui étaient propriétaires du bien aux dates où les premiers désordres ont été constatés (1997 et 2005) doivent nécessairement assumer une part du dommage causé.
  • la garantie déclenchée par le fait dommageable couvre l’assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres survenus entre la prise d’effet initiale de la garantie et sa date de résiliation ou d’expiration. Or, en l’espèce, la cause génératrice du dommage réside dans un événement continu puisqu’elle est constituée par des fuites d’eau intervenues depuis 1997 sur des canalisations enterrées de la propriété acquise par les assurés, fuites qui se sont poursuivies après la vente survenue en 2017, donc pendant la prise d’effet de l’assurance souscrite par les nouveaux propriétaires. Dès lors l’assureur est tenu à garantie.
  • pour être valables, les clauses d’exclusion de garantie insérées dans une police d’assurance doivent être formelles et limitées. Or, en l’espèce, d’une part, les conditions particulières du contrat d’assurance stipulaient que l’assureur garantissait la réparation pécuniaire des dommages causés par les “dégâts des eaux”, et que les exclusions ne mentionnaient pas expressément les dégâts des eaux provenant de conduites enterrées, de telle manière que ces dernières ne faisaient l’objet que d’une exclusion indirecte

Les problèmes de droit :

  • En matière de responsabilité, la responsabilité se fonde soit sur un contrat soit sur une faute. En matière de “troubles anormaux de voisinage“, quel est le fondement de la responsabilité ?
  • En matière d’assurance quel est l’évènement déclenchant de la garantie ?
  • Quelles sont les conditions de validité des clauses d’exclusion de garantie ?

Les réponses de la Haute Cour :

  • Sur la responsabilité, Le juge de Cassation constate que la Cour d’appel a reconnu elle-même que le trouble était causé par des conduites fuyardes, dont les premiers désordres remontaient à 1997 puis à 2005, donc à une époque où les époux F. n’étaient pas encore propriétaires du pavillon à l’origine du sinistre. Ainsi en imputant aux seuls époux F. propriétaires depuis 2017 seulement, la responsabilité du trouble anormal de voisinage considéré, la cour d’appel, n’a pas tiré les conséquences légales qui découlaient de ses propres constatations ; elle  a violé le principe en vertu duquel nul ne peut causer à autrui un trouble anormal de voisinage. Pour cette raisonna Haute Cour casse la décision de la Cour d’appel.

On retiendra que cette responsabilité de nature “objective“, engage la propriétaire du seul fait qu’un trouble anormal de voisinage émane de son fonds. Peu importe qu’il ait ou non commis une faute, il est responsable de plein droit en sa seule qualité de propriétaire. Ce régime de responsabilité objective se justifie par le risque créé ou le risque-profit  : là où est le profit, est la charge “ubi emolumentum, ibi onus“.

La Cour de Cassation a clairement affirmé qu’il s’agit là d’une action en responsabilité civile extracontractuelle (Civ. 2e, 13 sept. 2018, n° 17-22.474), qui n’est pas cantonnée aux rapports entre propriétaires. La jurisprudence retient une conception extensive de la notion de voisin : il n’est pas nécessaire que le voisin soit propriétaire du fonds. Seul importe le fait qu’il l’occupe. Il peut ainsi parfaitement s’agir d’un locataire (Civ. 3e, 17 avr. 1996, n° 94-15.876 ;  Civ. 2e, 31 mai 2000, n° 98-17.532, D. 2000. 171 ; 14 avr. 2016, n° 15-17.413) ou d’u usufruitier.

  • Sur le déclenchement de la garantie, la Cour de Cassation retient l’argumentaire des époux F. relativement à la garantie organisée par l’assurance : dans notre affaire, “la cause génératrice du dommage résidait dans un événement continu puisqu’elle était constituée par des fuites d’eau intervenues depuis 1997 sur des canalisations enterrées de la propriété acquise par les assurés, fuites qui s’étaient poursuivies après la vente survenue en 2017 », donc pendant la prise d’effet de l’assurance souscrite par les nouveaux propriétaires. En rejetant le principe de cette garantie, la Cour d’Appel a violé l’article L.124-5 du code des assurances. La Cour de cassation casse donc la décision des juges du fond pour violation de la loi. Elle souligne en outre que « selon ce texte, la garantie est, selon le choix des parties, déclenchée soit par le fait dommageable, soit par la réclamation », et que, « dans les assurances “dégâts des eaux”, l’assureur est tenu à garantie, dès lors que le sinistre est survenu pendant la période de validité du contrat d’assurance »
  • Sur la validité des clauses d’exclusion de garantie, la Haute Cour rappelle d’abord que “les clauses des polices édictant des exclusions ne sont valables que si elles sont mentionnées en caractères très apparents“ (art. L. 112-4). Elle souligne de plus, qu’au terme de l’art. L. 113-1, elles doivent être “formelles et limitées“. Elle en conclut que les juges du fond ont privé leur décision de base légale en ne recherchant pas “comme il le leur était demandé si les exclusions de garantie mentionnaient expressément les dégâts des eaux provenant de conduites enterrées, à défaut de quoi ceux-ci faisaient l’objet d’une exclusion indirecte“. Pour ces raisons la Cour de cassation casse la décision de la Cour d’appel en rappelant que le code des assurances encadre très strictement la validité des clauses d’exclusion de garantie dans un souci de protection du souscripteur.

Les décisions d’AG peuvent-elles être annulées alors qu’elles ont été exécutées ?

⚖️ CCas., Ch.civ. 3°, 24 novembre 2021, n° 20-22.487

Faits et procédure :

M. et Mme [U], M. [W] et la société civile immobilière (SCI) Dufer, ont assigné le syndicat des copropriétaires de la résidence (X) dans  laquelle ils sont copropriétaires en annulation

  • des assemblées générales (AG) des 2 novembre 2015 et 18 mai 2016,
  • de certaines résolutions  (6 et 7) adoptées lors de  ces AG
  • de l’AG  du 1er juin 2015.

Plusieurs décisions prises au cours de ces AG doivent être annulées car, au dire des requérants elles sont entachées de nullité en raison d’une violation manifeste des procédures qui ont présidé à leur adoption, et notamment

  • la désignation du syndic (société Cytia) au détriment de la société Laforêt. En l’espèce, deux résolutions successives étaient consacrées à la désignation d’un syndic (société Cytia et Laforêt). Après un second vote favorable obtenu au profit du syndic société Cytia, il avait été décidé que la résolution suivante (concernant la désignation du syndic Laforêt) était sans objet du fait de l’adoption de la résolution précédente. Or en procédant ainsi, la procédure décrite par les art. 25 et 25-1 de la loi du 10 juillet 1965, n’a pas été respectée : « l’assemblée générale doit, pour désigner le syndic, se prononcer sur chacune des propositions, d’abord à la majorité absolue de l’article 25 de la loi du 10 juillet 1965 puis, à défaut, à la majorité de l’article 24 de cette même loi ; qu’une irrégularité quant au vote portant désignation du syndic emporte l’annulation rétroactive de la résolution contestée ».
  • l’approbation et le vote de travaux alors que les devis proposés par les entreprises concurrentes  n’ont pas été joints à la convocation en violation des dispositions de l’article 11 du décret du 17 mars 1967 et que les règles posées notamment par l’art. 19 du décret n° 67-223 du 17 mars 1967 ont en outre été  transgressées : « Pour l’application des articles 25-1 et 26-1 de la loi du 10 juillet 1965, lorsque l’assemblée est appelée à approuver un contrat, un devis ou un marché mettant en concurrence plusieurs candidats, elle ne peut procéder au second vote prévu à ces articles qu’après avoir voté sur chacune des candidatures à la majorité applicable au premier vote. »

Le 20 septembre 2018, le Tribunal de Grande Instance de Blois saisi en première instance a donné droit au Syndicat des copropriétaires et rejeté la demande des requérants au motif qu’il est impossible d’annuler ces résolutions, bien que litigieuses, car elles ont déjà pris effet.

Deux ans plus tard, le 21 septembre 2020 la Cour d’Appel d’Orléans a confirmé le jugement rendu en première instance en reprenant  les mêmes arguments.

Ainsi pour ces deux niveaux de juridiction la mise en oeuvre d’une décision prise en AG  prime sur son irrégularité

S’estimant lésés, les copropriétaires forment un pourvoi en cassation.

Question de droit :

Une résolution d’AG prise  de manière irrégulière et au mépris des dispositions légales, peut-elle être annulée alors qu’elle a été exécutée ?

Réponse du juge  :

A cette question, et sur chacune des « irrégularités » dénoncées par les requérants la Cour de Cassation, par un arrêt du 24 novembre 2021, a répondu par l’affirmative.

Elle casse et annule l’arrêt rendu par la Cour d’Appel d’Orléans au motif « qu’en refusant de prononcer la nullité des résolutions … relatives à la désignation de la société Citya en qualité de syndic au motif que le mandat donné au syndic avait été exécuté, après avoir pourtant retenu que la résolution (6) avait « été adoptée en violation des dispositions légales susvisées », la cour d’appel a refusé de prononcer la sanction attachée aux irrégularités constatées, privant ainsi de toute efficacité les règles énoncées aux articles 25 et 25-1 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 et à l’article 19 du décret n° 67-223 du 17 mars 1967, qu’elle a violés. »

La Haute Cour casse et annule les décisions relatives au vote de travaux  en reconnaissant « que la résolution prise sans qu’aient été jointes les conditions essentielles des contrats et devis proposés pour l’exécution des travaux projetés encourt la nullité ; qu’en refusant de prononcer la nullité de la résolution 12 de l’assemblée générale du 1er juin 2015 au motif que cette résolution avait été exécutée, après avoir pourtant retenu que cette résolution avait « été adoptée dans des conditions irrégulières », la cour d’appel a refusé de prononcer la sanction attachée aux irrégularités constatées, privant ainsi de toute efficacité les règles énoncées à l’article 11 du décret du 17 mars 1967 qu’elle a violé. »

Au visa de ces articles, la haute juridiction reconnaît que l’exécution d’une résolution adoptée en AG ne fait pas obstacle à son annulation. Pour la Cour de Cassation le respect de la régularité de la prise de décision doit primer sur son exécution.

Conclusion :

L’application stricto sensu de ces dispositions n’est pas sans conséquence notamment à l’égard des contrats qui auraient été souscrits de bonne foi par le cocontractant ou encore des travaux engagés. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le législateur a introduit dans l’article 42 de la loi du 10 juillet 1965, l’obligation de la purge du délai de contestation pour l’exécution des travaux votés à la majorité absolue de l’article 25 et ceux votés à la double majorité de  l’art.26 :

« Les actions en contestation des décisions des assemblées générales doivent, à peine de déchéance, être introduites par les copropriétaires opposants ou défaillants dans un délai de deux mois à compter de la notification du procès-verbal d’assemblée, sans ses annexes. Cette notification est réalisée par le syndic dans le délai d’un mois à compter de la tenue de l’assemblée générale.


Sauf urgence, l’exécution par le syndic des travaux décidés par l’assemblée générale en application des articles 25 et 26 de la présente loi est suspendue jusqu’à l’expiration du délai de deux mois mentionné au deuxième alinéa du présent article. »

Abus de majorité / Rupture d’égalité

⚖️ C.Cas, Civ. 3eme du 11 mai 2006 05-10.924

Faits et procédure

Le 9 juillet 2001, lors d’une Assemblée générale (AG), le syndicat des copropriétaires d’une copropriété située à Toulouse a autorisé certains copropriétaires à occuper, sans contrepartie, les emplacements de stationnement délimités dans la cour. L’AG, fonde sa décision sur des critères objectifs en réservant ce droit à des copropriétaires résidant à titre d’habitation ou à titre professionnel et disposant d’un nombre important de millièmes.

S’estimant lésés, les époux X… introduisent une action en justice contre le syndicat des copropriétaires en vue de l’annulation de la résolution.

Le 15 novembre 2004 La Cour d’Appel de Toulouse rend un arrêt déboutant les époux X… de leur demande au motif qu’ils n’étaient pas recevables à critiquer la décision celle-ci étant conforme à l’intérêt collectif. La Cour retient notamment que l’attribution de places de stationnement en nombre insuffisant effectuée en fonction de la qualité des copropriétaires et du nombre de millièmes de copropriété, ne constituait aucun abus de majorité.

Insatisfaits de cette décision, les époux X… se sont pourvoient en cassation.

Le problème de droit

La décision d’une AG de copropriété octroyant des emplacements de stationnement dans les parties communes à certains copropriétaires déterminés sans contrepartie pour les autres copropriétaires est-il constitutif d’une rupture d’égalité entr’eux ?

L’attribution d’emplacements de stationnement dans les parties communes d’une copropriété à ceux des copropriétaires qui détiennent les plus grand nombre de antièmes constituent-t-il un abus de majorité ?

La réponse du juge :

Le 11 mai 2006, la Haute juridiction dans un arrêt infirmatif au visa de l’ancien article 1382 du code civil (actuellement article 1240) et de l’article 9 de la loi du 10 juillet 1965  casse la décision de la Cour d’Appel au motif que la décision d’AG contestée entraîne bien une rupture d’égalité entre les copropriétaires dans la jouissance de leurs parties communes sans contrepartie pour les copropriétaires lésés.

En effet, selon l’arrêt de la Cour de cassation, les critères d’attribution mis en place par la décision d’AG écartent une partie des copropriétaires tandis que l’article 9, d’ordre public,  et plus précisément le premier alinéa du I.-, dispose que « chaque copropriétaire dispose des parties privatives comprises dans son lot ; il use et jouit librement des parties privatives et des parties communes sous la condition de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l’immeuble ». En ce sens, une telle décision crée une distinction entre les copropriétaires, causant à certains d’entre eux un préjudice.

Par ailleurs, l’attribution des emplacements en fonction notamment du nombre de millièmes ne pouvait que vicier par un abus de majorité la prise de décision en favorisant les copropriétaires qui détenaient le plus de millièmes.

En outre, conformément à l’article 1240 du Code civil (ancien art. 1382), la Cour de Cassation rappelle que le préjudice doit être indemnisé par son auteur. Or, en l’espèce, le syndicat des copropriétaires n’avait prévu aucune contrepartie.

Sur ces bases,  la Haute juridiction casse et annule l’arrêt de la Cour d’Appel de Toulouse et renvoie l’affaire devant la même Cour d’Appel autrement composée.

En conclusion, dans cet arrêt la Cour de Cassation considère qu’une décision d’AG qui attribue à certains copropriétaires les emplacements de stationnement dans la cour commune sans contrepartie pour les autres, rompt l’égalité entr’eux dans la jouissance des parties communes même si cette décision se fonde sur des critères objectifs et prédéterminés.

Peut-il être dégagé de cette jurisprudence un principe général ? La doctrine ne le pense pas et considère que chaque cas exige un examen in concreto.

Pour la portée plus pratique de cet arrêt, on retiendra que dans de pareils cas – une insuffisance de places de stationnement permettant de satisfaire l’ensemble des copropriétaires –, il est préférable de ne pas consentir un droit de stationner sur les parties communes pour éviter un potentiel contentieux.
Même si un droit sur les parties communes était consenti à certains copropriétaires avec une contrepartie, la question de la juste valeur de celle-ci risque d’ouvrir sur un autre type de contentieux.

ALIENATION DES PARTIES COMMUNES SPECIALES

⚖️ Civ. 3e, 1er juin 2022, FS-B, n° 21-16.232

Les faits et la procédure :

Le litige concerne un immeuble situé dans un ensemble immobilier composé de plusieurs bâtiments et géré par la société Foncia. Ces bâtiments comportent tous des parties communes spéciales (c’est à dire des parties communes affectées à l’usage ou à l’utilité de plusieurs copropriétaires).

Dans l’un d’entr’eux, le bâtiment H., l’un des copropriétaires, Monsieur Y. a sollicité la cession d’une partie du couloir jouxtant son appartement. D’après les documents officiels de la copropriété ce morceau de couloir fait partie des “parties communes spéciales“. A la demande de Monsieur Y., le syndic a proposé au vote de l’Assemblée Générale (AG) tenue le 5 juillet 2016 et réunissant la totalité des copropriétaires de l’ensemble immobilier, deux résolutions autorisant cette cession et ses conséquences sous condition préalable d’une modification de l’état descriptif de division (EDD) et du règlement de copropriété (RC). Cette cession a été approuvée dans les conditions de majorité requises.

Deux copropriétaires, propriétaires de lots situés dans ce même bâtiment H ont alors assigné le syndicat des copropriétaires, le syndic gestionnaire et la société Foncia dont il dépend en annulation des deux résolutions et en paiement de dommages-intérêts. Leurs prétentions se fondent

  • sur l’art. 3 de   la loi du 10 juillet 1965 qui définit les parties communes comme étant celles “affectées à l’usage ou à l’utilité de tous les copropriétaires ou de plusieurs d’entre eux“. Ils en déduisent que l’objet de la cession ne concernant que les copropriétaires du bâtiment H, la décision d’autoriser ou non la cession n’appartenait pas à la totalité des copropriétaires de l’ensemble immobilier (AG Plénière)  mais aux seuls copropriétaires du bâtiment H.
  • sur le fait que certaines des dispositions des résolutions votées impliquent une répartition du prix entre la totalité des copropriétaires de l’ensemble immobilier. Ce faisant, arguent-ils, les résolutions ont violé l’art. 16-1 de la  même loi qui stipule  que “Les sommes représentant le prix des parties communes cédées se divisent de plein droit entre les copropriétaires dans les lots desquels figuraient ces parties communes et proportionnellement à la quotité de ces parties afférentes à chaque lot. “
  • sur le fait  que l’AG en statuant à une majorité obtenue sans le consentement des requérants a violé l’art. 26 de la même loi, ainsi que l’art. 544 du code civil car,  en tout état de cause, l’AG ne saurait, à quelque majorité que ce soit, priver un copropriétaire d’une partie de ses droits sur les parties communes contenues dans son lot

Art. 26 loi 10 juillet 1965 :L’assemblée générale ne peut, à quelque majorité que ce soit, imposer à un copropriétaire une modification à la destination de ses parties privatives ou aux modalités de leur jouissance, telles qu’elles résultent du règlement de copropriété…

Art. 544 CC : … Nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité.

La Cour d’Appel dans un arrêt rendu le 18 mars 2021, sans rependre la totalité des arguments avancés,  rejette leur demande d’annulation aux motifs

  • que la cession considérée, parce qu’elle est  subordonnée à la modification de l’EDD et du RC, suppose la création d’un nouveau lot avec les conséquences afférentes (affectation d’une quote-part des parties communes spéciales, d’une quote-part des parties communes générales et des charges afférentes) et exige donc l’approbation de l’ensemble de la collectivité.
  • que distinguer la question de la cession  qui ne relèverait que des seuls copropriétaires du bâtiment H. de la délicate question de la modification de l’EDD qui relève elle de la copropriété toute entière, reviendrait à faire dépendre la décision d’une AG plénière de la décision d’une assemblée restreinte.

Elle en conclut que  la cession des parties communes spéciales doit être soumise à l’approbation de l’ensemble des copropriétaires

Peu satisfaits des arguments avancés par la Cour d’appel et par le rejet de leur requête, les deux copropriétaires déboutés intentent un pourvoi devant la Haute Cour. Ils reprennent une partie des arguments précédemment avancés et notamment celui de la violation de l’art. 3 de la loi du 10 juillet 1965 pour affirmer devant la Cour  “que seuls les copropriétaires des parties communes spéciales qui en ont la propriété indivise, peuvent décider de leur aliénation ; qu’en jugeant que la résolution n° 28, et la résolution n° 29 subséquente, ayant pour objet la cession d’une partie du couloir du bâtiment H, avait été valablement votée par l’ensemble des copropriétaires de la résidence bien qu’elle ait, elle-même, relevé que le bâtiment H constituait une partie commune spéciale ce dont il résultait qu’une telle décision ne pouvait être votée que par les copropriétaires de ce bâtiment, la cour d’appel a violé l’article 3 de la loi du 10 juillet 1965. »

La question de droit :

C’est celle de la compétence en matière d’aliénation des parties communes spéciales :

  • est-ce celle de l’ensemble du syndicat des copropriétaires réunis en AG plénière
  • ou est-ce celle, exclusive, des seuls propriétaires concernés du fait qu’ils sont eux aussi propriétaires d’une quote part de ces parties communes spéciales.

La réponse du juge :

La cour de cassation s’appuie à son tour sur l’art. 3 mais aussi l’art. 4 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 :

Art. 3 : Sont communes les parties des bâtiments et des terrains affectées à l’usage ou à l’utilité de tous les copropriétaires ou de plusieurs d’entre eux…..

…….
Art.4 : Les parties communes sont l’objet d’une propriété indivise entre l’ensemble des copropriétaires ou certains d’entre eux seulement ; selon le cas, elles sont générales ou spéciales. Leur administration et leur jouissance sont organisées conformément aux dispositions de la présente loi.

Elle en déduit que la Cour d’Appel par sa décision a violé  les deux articles pré-cités et réaffirme que seuls les propriétaires des parties communes spéciales peuvent décider de l’aliénation de celles-ci.