ALIENATION DES PARTIES COMMUNES SPECIALES

⚖️ Civ. 3e, 1er juin 2022, FS-B, n° 21-16.232

Les faits et la procédure :

Le litige concerne un immeuble situé dans un ensemble immobilier composé de plusieurs bâtiments et géré par la société Foncia. Ces bâtiments comportent tous des parties communes spéciales (c’est à dire des parties communes affectées à l’usage ou à l’utilité de plusieurs copropriétaires).

Dans l’un d’entr’eux, le bâtiment H., l’un des copropriétaires, Monsieur Y. a sollicité la cession d’une partie du couloir jouxtant son appartement. D’après les documents officiels de la copropriété ce morceau de couloir fait partie des “parties communes spéciales“. A la demande de Monsieur Y., le syndic a proposé au vote de l’Assemblée Générale (AG) tenue le 5 juillet 2016 et réunissant la totalité des copropriétaires de l’ensemble immobilier, deux résolutions autorisant cette cession et ses conséquences sous condition préalable d’une modification de l’état descriptif de division (EDD) et du règlement de copropriété (RC). Cette cession a été approuvée dans les conditions de majorité requises.

Deux copropriétaires, propriétaires de lots situés dans ce même bâtiment H ont alors assigné le syndicat des copropriétaires, le syndic gestionnaire et la société Foncia dont il dépend en annulation des deux résolutions et en paiement de dommages-intérêts. Leurs prétentions se fondent

  • sur l’art. 3 de   la loi du 10 juillet 1965 qui définit les parties communes comme étant celles “affectées à l’usage ou à l’utilité de tous les copropriétaires ou de plusieurs d’entre eux“. Ils en déduisent que l’objet de la cession ne concernant que les copropriétaires du bâtiment H, la décision d’autoriser ou non la cession n’appartenait pas à la totalité des copropriétaires de l’ensemble immobilier (AG Plénière)  mais aux seuls copropriétaires du bâtiment H.
  • sur le fait que certaines des dispositions des résolutions votées impliquent une répartition du prix entre la totalité des copropriétaires de l’ensemble immobilier. Ce faisant, arguent-ils, les résolutions ont violé l’art. 16-1 de la  même loi qui stipule  que “Les sommes représentant le prix des parties communes cédées se divisent de plein droit entre les copropriétaires dans les lots desquels figuraient ces parties communes et proportionnellement à la quotité de ces parties afférentes à chaque lot. “
  • sur le fait  que l’AG en statuant à une majorité obtenue sans le consentement des requérants a violé l’art. 26 de la même loi, ainsi que l’art. 544 du code civil car,  en tout état de cause, l’AG ne saurait, à quelque majorité que ce soit, priver un copropriétaire d’une partie de ses droits sur les parties communes contenues dans son lot

Art. 26 loi 10 juillet 1965 :L’assemblée générale ne peut, à quelque majorité que ce soit, imposer à un copropriétaire une modification à la destination de ses parties privatives ou aux modalités de leur jouissance, telles qu’elles résultent du règlement de copropriété…

Art. 544 CC : … Nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité.

La Cour d’Appel dans un arrêt rendu le 18 mars 2021, sans rependre la totalité des arguments avancés,  rejette leur demande d’annulation aux motifs

  • que la cession considérée, parce qu’elle est  subordonnée à la modification de l’EDD et du RC, suppose la création d’un nouveau lot avec les conséquences afférentes (affectation d’une quote-part des parties communes spéciales, d’une quote-part des parties communes générales et des charges afférentes) et exige donc l’approbation de l’ensemble de la collectivité.
  • que distinguer la question de la cession  qui ne relèverait que des seuls copropriétaires du bâtiment H. de la délicate question de la modification de l’EDD qui relève elle de la copropriété toute entière, reviendrait à faire dépendre la décision d’une AG plénière de la décision d’une assemblée restreinte.

Elle en conclut que  la cession des parties communes spéciales doit être soumise à l’approbation de l’ensemble des copropriétaires

Peu satisfaits des arguments avancés par la Cour d’appel et par le rejet de leur requête, les deux copropriétaires déboutés intentent un pourvoi devant la Haute Cour. Ils reprennent une partie des arguments précédemment avancés et notamment celui de la violation de l’art. 3 de la loi du 10 juillet 1965 pour affirmer devant la Cour  “que seuls les copropriétaires des parties communes spéciales qui en ont la propriété indivise, peuvent décider de leur aliénation ; qu’en jugeant que la résolution n° 28, et la résolution n° 29 subséquente, ayant pour objet la cession d’une partie du couloir du bâtiment H, avait été valablement votée par l’ensemble des copropriétaires de la résidence bien qu’elle ait, elle-même, relevé que le bâtiment H constituait une partie commune spéciale ce dont il résultait qu’une telle décision ne pouvait être votée que par les copropriétaires de ce bâtiment, la cour d’appel a violé l’article 3 de la loi du 10 juillet 1965. »

La question de droit :

C’est celle de la compétence en matière d’aliénation des parties communes spéciales :

  • est-ce celle de l’ensemble du syndicat des copropriétaires réunis en AG plénière
  • ou est-ce celle, exclusive, des seuls propriétaires concernés du fait qu’ils sont eux aussi propriétaires d’une quote part de ces parties communes spéciales.

La réponse du juge :

La cour de cassation s’appuie à son tour sur l’art. 3 mais aussi l’art. 4 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 :

Art. 3 : Sont communes les parties des bâtiments et des terrains affectées à l’usage ou à l’utilité de tous les copropriétaires ou de plusieurs d’entre eux…..

…….
Art.4 : Les parties communes sont l’objet d’une propriété indivise entre l’ensemble des copropriétaires ou certains d’entre eux seulement ; selon le cas, elles sont générales ou spéciales. Leur administration et leur jouissance sont organisées conformément aux dispositions de la présente loi.

Elle en déduit que la Cour d’Appel par sa décision a violé  les deux articles pré-cités et réaffirme que seuls les propriétaires des parties communes spéciales peuvent décider de l’aliénation de celles-ci.