Abus de majorité / Rupture d’égalité

⚖️ C.Cas, Civ. 3eme du 11 mai 2006 05-10.924

Faits et procédure

Le 9 juillet 2001, lors d’une Assemblée générale (AG), le syndicat des copropriétaires d’une copropriété située à Toulouse a autorisé certains copropriétaires à occuper, sans contrepartie, les emplacements de stationnement délimités dans la cour. L’AG, fonde sa décision sur des critères objectifs en réservant ce droit à des copropriétaires résidant à titre d’habitation ou à titre professionnel et disposant d’un nombre important de millièmes.

S’estimant lésés, les époux X… introduisent une action en justice contre le syndicat des copropriétaires en vue de l’annulation de la résolution.

Le 15 novembre 2004 La Cour d’Appel de Toulouse rend un arrêt déboutant les époux X… de leur demande au motif qu’ils n’étaient pas recevables à critiquer la décision celle-ci étant conforme à l’intérêt collectif. La Cour retient notamment que l’attribution de places de stationnement en nombre insuffisant effectuée en fonction de la qualité des copropriétaires et du nombre de millièmes de copropriété, ne constituait aucun abus de majorité.

Insatisfaits de cette décision, les époux X… se sont pourvoient en cassation.

Le problème de droit

La décision d’une AG de copropriété octroyant des emplacements de stationnement dans les parties communes à certains copropriétaires déterminés sans contrepartie pour les autres copropriétaires est-il constitutif d’une rupture d’égalité entr’eux ?

L’attribution d’emplacements de stationnement dans les parties communes d’une copropriété à ceux des copropriétaires qui détiennent les plus grand nombre de antièmes constituent-t-il un abus de majorité ?

La réponse du juge :

Le 11 mai 2006, la Haute juridiction dans un arrêt infirmatif au visa de l’ancien article 1382 du code civil (actuellement article 1240) et de l’article 9 de la loi du 10 juillet 1965  casse la décision de la Cour d’Appel au motif que la décision d’AG contestée entraîne bien une rupture d’égalité entre les copropriétaires dans la jouissance de leurs parties communes sans contrepartie pour les copropriétaires lésés.

En effet, selon l’arrêt de la Cour de cassation, les critères d’attribution mis en place par la décision d’AG écartent une partie des copropriétaires tandis que l’article 9, d’ordre public,  et plus précisément le premier alinéa du I.-, dispose que « chaque copropriétaire dispose des parties privatives comprises dans son lot ; il use et jouit librement des parties privatives et des parties communes sous la condition de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l’immeuble ». En ce sens, une telle décision crée une distinction entre les copropriétaires, causant à certains d’entre eux un préjudice.

Par ailleurs, l’attribution des emplacements en fonction notamment du nombre de millièmes ne pouvait que vicier par un abus de majorité la prise de décision en favorisant les copropriétaires qui détenaient le plus de millièmes.

En outre, conformément à l’article 1240 du Code civil (ancien art. 1382), la Cour de Cassation rappelle que le préjudice doit être indemnisé par son auteur. Or, en l’espèce, le syndicat des copropriétaires n’avait prévu aucune contrepartie.

Sur ces bases,  la Haute juridiction casse et annule l’arrêt de la Cour d’Appel de Toulouse et renvoie l’affaire devant la même Cour d’Appel autrement composée.

En conclusion, dans cet arrêt la Cour de Cassation considère qu’une décision d’AG qui attribue à certains copropriétaires les emplacements de stationnement dans la cour commune sans contrepartie pour les autres, rompt l’égalité entr’eux dans la jouissance des parties communes même si cette décision se fonde sur des critères objectifs et prédéterminés.

Peut-il être dégagé de cette jurisprudence un principe général ? La doctrine ne le pense pas et considère que chaque cas exige un examen in concreto.

Pour la portée plus pratique de cet arrêt, on retiendra que dans de pareils cas – une insuffisance de places de stationnement permettant de satisfaire l’ensemble des copropriétaires –, il est préférable de ne pas consentir un droit de stationner sur les parties communes pour éviter un potentiel contentieux.
Même si un droit sur les parties communes était consenti à certains copropriétaires avec une contrepartie, la question de la juste valeur de celle-ci risque d’ouvrir sur un autre type de contentieux.